L'art du Kintsugi ou la beauté des cicatrices
La pratique japonaise de réparer les fractures de la céramique avec de la résine d'or nous parle directement à tous : parfois, les défauts sont les plus grandes vertus.
L'histoire du kintsugi remonte à la fin du XVe siècle lorsque le shōgun (général de l'armée), Ashikaga Yoshimasa, envoya deux de ses bols à thé préférés en Chine pour être réparés. Les bols sont revenus réparés mais avec des agrafes métalliques laides, les rendant grossiers et désagréables à la vue. Le résultat ne lui a pas plu, alors il a cherché des artisans japonais pour une meilleure réparation, découvrant ainsi une nouvelle façon de réparer la céramique, devenue un art.
" Il y a une fissure en tout, c'est ainsi que la lumière entre."― Leonard Cohen
Parmi les nombreuses métaphores que nous associons à la vie, celle de la cicatrice nous concerne tous. Le monde se charge de nous fissurer, de nous remplir de fissures, et c'est là que réside pour nous un creuset de possibilités ; la cicatrice devient une occasion de faire face au monde. Personne n'a exprimé cette métaphore avec autant de beauté, avec autant de clarté, que les Japonais dans l'art kintsugi (ou kintsukuroi).
Le kintsugi consiste à réparer les fractures de la céramique avec du vernis ou de la résine saupoudrée d'or. Il soutient que les ruptures et les réparations font partie de l'histoire d'un objet et doivent être montrées au lieu d'être cachées. Ainsi, en mettant en lumière sa transformation, les cicatrices embellissent l'objet.
Le poète Rumi disait que "la blessure est l'endroit par où entre la lumière".
Dans cette philosophie, il y a quelque chose de presque diamétralement opposé à la façon occidentale de voir la fracture, aussi bien animique que matérielle. Plutôt que de considérer un objet cassé comme inutile et de le jeter, sa fonction se transforme en autre chose : en un message actif. L'objet brisé passe d'être une chose à être un geste graphique qui nous incite à émuler sa puissante transformation, et métaphoriquement, la blessure passe d'être une trace d'obscurité à être une fenêtre de lumière.
Le kintsugi est silencieux et manifeste. Tracer un incident douloureux avec de la poudre d'or, c'est l'accepter comme un joyau, comme une ligne lumineuse sur la peau du tigre.
"Il n'y a pas de beauté vraiment excellente qui n'ait une anomalie dans ses proportions." – Francis Bacon
Le wabi-sabi est une beauté mesurée qui existe dans le modeste, le rustique, l'imparfait, voire le déclinant, une sensibilité esthétique qui trouve une beauté mélancolique dans l'impermanence des choses.
📷 Par la réparatrice de kintsugi japonaise Chimahaga Kurashi (Hyogo, 1995)